Pâques : destination de rêve.
Eastern Island en anglais, île de Pâques, Rapa Nui, nombril du monde, pour les locaux … au bout de 5h30 d’avion, 2h de décalage en retard avec le Chili, perdus au milieu du Pacifique, nous y voilà. Et dés la sortie de l’avion , on se sent dans un monde différent, dans un autre espace : il y a d’abord la moiteur des tropiques avec ce ciel un peu chargé puis le soleil qui cogne sur mon pauvre crâne et aussi, cet unique gros avion sur cette piste aussi longue (4kms grâce à un accord avec les States pour la Nasa du temps de la navette) à côté de ce petit aéroport posé tout près de la seule ville, Hanga Roa et les quelques bus navettes à touristes qui nous transportent jusqu’à nos hôtels respectifs.
Une seule ville donc, 3000 habitants environ et autant de touristes, peu d’habitants en dehors de la ville car, pas de routes, pas d’électricité, pas d’eau, alors que le téléphone portable passe presque partout. Les Rapanuis ont été rattrapés par le progrès depuis peu et on ne les voit plus guère à cheval mais sur des motos bruyantes, des quads ou de gros 4X4. Pourtant la vie demeure apparemment avec une notion du temps toute polynésienne et, tout le monde connaissant chacun, une impression de grande famille. Quelques voiliers et un cargo sont au mouillage et, sur le port, à la sortie de l’école, les gamins viennent se baigner, les ados font du surf, ceux qui ont une barque emmènent les vacanciers pêcher, plonger, faire du snorkelling, les chiens se baladent en meute ou solitaires et courent après les deux roues, beaucoup, dont nous, flânent sur les terrasses … on a l’impression d’avoir freiné et ralenti le temps.
Les couleurs et la lumière changent d’un instant à l’autre, les vertes collines et les vagues qui, en se brisant, jettent des reflets turquoise encadrent les roches volcaniques noires qui marquent le littoral, l’arc en ciel qui apparaît au détour d’une ondée, tout est magique, tout est beauté à nos yeux et on se promène en alternant parapluie et chapeau de soleil, pause contemplative et sourires amusés.
Notre chambre est en fait une suite avec terrasse et, pour fêter notre arrivée dans ce milieu de nulle part, on se paye une bouteille de blanc et une petite flasque de Pisco Sour à siroter tranquillement devant chez nous en grignotant.
Mais c’est pas tout ça de flâner ainsi car on est venu aussi pour comprendre un peu comment la vie s’est arrangée avec cet isolement et, surtout, le mystère qui règne autour de toutes ces grandes statues, les Moais. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a réservé 3 expéditions sur différents sites avec guide francophone.
Alors on a vu des sites super bien restaurés, le flan de volcan qui servait de carrière, la colline qui servait de carrière pour les coiffes rouges, les restes d’un village, le village reconstitué en partie où se tenait le rituel de l’homme-oiseau et on (non, je) a pu se baigner dans les eaux chaudes et cristallines de la plus belle plage de l’île bordée de cocotiers derrière lesquels on pouvait se changer en toute discrétion .
Le résultat de cette étude, pour faire assez bref, c’est que ça n’est pas si mystérieux qu’on le croit de prime abord ou qu’on le laisse sous entendre mais, à cause de la tradition orale pascuane et de la disparition des initiés pour la lecture des tablettes Rongo Rongo il y a des doutes et des ombres quant aux différentes migrations, sur certaines périodes et sur les méthodes de transport de ces géants de pierre volcanique.
Alors, sans doute une première migration vers 300 de notre ère d’un roi polynésien vaincu qui avait envoyé ses 7 fils en éclaireurs sur l’île avant de débarquer avec femme, sujets, enfants, poulets, veaux, vaches, cochons, couvées, graines et tout le saint frusquin sur des grandes pirogues catamarans polynésiennes. Ses 7 fils considérés comme des héros seraient représentés par 7 Moais, les seuls tournés vers la mer, regardant dans la direction de la Polynésie (Marquises ? Tahiti ou autre ? voire Nouvelle Zélande ?). A partir de là, les Moais auraient été sculptés et érigés en l’honneur des ancêtres qui ainsi assuraient leurs protection sur le village vers lequel ils regardaient en tournant ainsi le dos à la mer. La plate forme sur laquelle ils étaient posés était ainsi un lieu de culte et de vénération. Il y avait, et il y a encore une douzaine de clans qui s’étaient partagé l’île comme un gâteau pour que chacun ait un accès à la mer et, apparemment, le Moai est p’t’ête bien devenu un peu compète du genre “T’as vu, le mien est plus grand que le tien !” et puis l’île a subi une déforestation importante (transport des moais sur les troncs ?), il y a eu surpopulation, d’autant plus qu’il y aurait eu une 2ème migration (du Pérou ?). De là, on peut penser qu’ils se sont un peu bouffé le nez et en se bagarrant on faisait tomber les beaux Moais des vaincus, avec quelques famines en plus et une ou deux sécheresses (?), il n’en fallait sans doute pas plus pour qu’on ne croit plus guère en leur protection et qu’on laisse tomber la production à la chaîne. En même temps, ils s’étaient rendu compte que le pouvoir suprême toujours aux mains des descendants du 1er roi de la tribu des Miru, c’était pas terrible et que ce serait pas mal de le partager. C’est ainsi sans doute qu’est venu le culte de l’homme-oiseau : Les rois des 6 clans les plus importants choisissaient chacun leur champion et celui-ci devait être le 1er à ramener le 1er œuf des frégates qui venaient nicher au printemps sur l’îlot de Motu Nui, à 1km au large de l’île. C’était tout simple, descendre 200m au fond du cratère d’un volcan pour cueillir ses roseaux pour tresser son matelas flottant, remonter et descendre sans rappel les 300m de falaise avant de se jeter dans les flots tumultueux et nager les 1000m au milieu des requins avant d’escalader à nouveau, trouver un œuf et refaire le chemin inverse avec l’œuf fixé sur le front. Celui qui arrivait le 1er sans avoir cassé son œuf avait le bonheur de le donner à son roi qui le cassait pour d’en enduire et devenir l’homme oiseau avec le pouvoir suprême pendant un an, mais un an seulement parce que les oiseaux, c’est pas bien malin et même si on leur pique leurs œufs, ils reviennent au même endroit et les hommes, c’est bien connu, même avec des risques, ils aiment bien la compétition.
La suite, bien triste pour la société pascuane déjà décadente à cette époque, c’est l’arrivée des missionnaires dont certains ont fini en méchoui, la colonisation, puis en 1863, une dizaine de bateaux péruviens embarquent plus d’un millier de pascuans en esclavages dans les mines du Pérou non sans éliminer ceux qui résistent. Quand ils sont contraints de les libérer sous la pression internationale, 80% d’entre eux sont morts et sur la centaine qui regagne l’île, la plupart meurent en route de la variole et les survivants la transmettent aux autres en arrivant : sur les quelques 5000 qui peuplaient encore l’île il n’en reste alors que quelques centaines mais ce n’est pas fini car beaucoup à ce moment ont quitté l’île et l’Angleterre a obtenu du Chili un contrat de location de l’île jusqu’en 1952 pour y mettre ses moutons et c’est ainsi que les Rapa Nuis restant sont “parqués” dans la ville de Hanga Roa, sans statut, sans ressources, dans une misère sans issue. Je crois que ce sont seulement 111 descendants qui restaient à ce moment.
Ce n’est qu’en 1966 qu’ils obtiennent droit de vote et papiers d’identité et c’est pourquoi, maintenant il y a comme un air de revanche car, grâce au tourisme, ils sont devenus quasiment plus riches que leur patrie mère et je crains fort que ça ne s’arrange pas beaucoup car ils semblent mettre parfois la barre un peu haut sur les prix : il faut déjà payer 60$ pour entrer sur l’ensembles des sites, on nous a demandé 1$ pour passer aux toilettes, et aussi les prix d’hôtellerie et de restauration qui s’envolent … pourvu qu’ils n’en veuillent pas plus !
Ça n’en demeure pas moins une destination magique avec quantité d’histoires, de croyances, avec des lumières et des couleurs pures et changeantes, avec des gens fiers sans doute qui portent encore volontiers le chignon et qui restent quand même attachés à une vie simple. On a vraiment adoré cette vie calme, d’une autre dimension et heureusement que le vol du retour nous réservait une surprise agréable pour effacer notre morosité du départ : pour le vol “aller”, on avait osé demander une des 2 places côté hublot et on s’était retrouvé aux pires places possibles : places centrales au milieu des toilettes, sans aucune vue alors, pour le retour on s’écrasait et on s’est retrouvés à un hublot … en 1ère classe, rangée N°1 avec champagne, menu et vins au choix, les hôtesses qui nous appellent par nos noms. C’était la 1ère fois et on n’a pas compris pourquoi …. Pourvu qu’on n’y prenne pas trop goût.